Sunday, November 2, 2008

Le train (1)

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas écrit de billets sur ce blog et je dois avoir perdu mes rares lecteurs mais qu'importe, me revoici avec deux textes sur cette abomination que sont les transports en commun. Le premier texte est vieux de quelques mois mais j'ai pensé que sa place était sur ce blog donc je le soumets ici, et le second est inédit. Tous les deux reflètent bien ce qu'est le train au Japon: une zone de non-culture où tous les piliers traditionnels de la mentalité japonaise s'écroulent un à un comme de vulgaires châteaux de cartes. Un endroit où l'homo japonicus se révèle être un être humain comme les autres, où l'imperméabilité de sa légendaire contenance se fissure et se délite au-delà du dicible. Bien qu'ayant vécu à Paris et ayant subi les affres du RER et du métro, je n'ai jamais ressenti un contraste aussi fort au sein même de la société. Ici, c'en est vertigineux...

Sur le quai, les gens sont alignés tels des sardines dans leur boîte, en de longues files bien droites et sages, face aux écussons aposés sur le sol qui désignent le lieu exact où les portes du train se trouveront et s'ouvriront une fois ce dernier à l'arrêt.

Nous sommes au Japon, et au Japon on aime l'ordre.

Une douzaine d'annonces plus tard, le convoi arrive enfin. Désespérément à l'heure. S'opère alors une métamorphose tout à fait singulière: les files d'attente, pourtant si disciplinées la seconde précédente, se désagrègent, se délitent, se dissolvent. Les gens se massent des deux côtés des portes afin de laisser sortir les voyageurs. Puis c'est un chaos de salary-man, de lycéennes en jupette et socquettes bleues, de mamies blindées en titane qui jouent du coude, de sosies plus ou moins réussis de Tina Turner et Rod Stewart, voire du Roi Lion, qui se rue et s'engouffre dans les entrailles du "densha". Objectif: trouver une place assise à tout prix et pour ça tous les coups sont permis du moment qu'on arrive à s'asseoir. Penser d'abord à soi. Et tant pis pour les vieux. Tout ce petit monde vient de basculer sans le savoir dans un autre monde; une sorte de zone de non-culture où les piliers traditionnels de la culture japonaise pourtant apparemment inébranlables d'habitude, s'écroulent comme des châteaux de cartes.
Ceux qui n'ont jamais vécu une heure de pointe sur des grands axes ferroviaires à Tokyo n'ont pas vraiment vécu.

Nous sommes au Japon, et au Japon on est respectueux.
Nous sommes au Japon, et au Japon on est silencieux.
Nous sommes au Japon, et au Japon on est propre.

Mais dans le train, on est un peu comme à la maison: on se maquille, vulgairement s'il vous plaît; on mange et on laisse ses détritus sous le siège, l'air de rien (de toute façon y a des gens payés pour faire le ménage, ça leur donne du boulot); on écoute sa musique, fort s'il vous plaît (de toute façon personne ne dira rien); on s'affale par terre...

Nous sommes au Japon, et au Japon, qu'elle soit affective ou physique, on aime et on respecte la distance (sauf peut-être quand on est ivre). Dans le train, exiguïté et forte densité oblige, la sacro-sainte distance devient par la force des choses une notion plutôt vague, et on se retrouve compressés, écrasés, obligés d'avoir à se frotter aux autres: dans le meilleur des cas à une jolie O.L (office lady), dans le pire à un salary-man graisseux sentant le tabac et l'urine ou plus insupportable encore, un étranger. On prend son voisin pour un oreiller, on laisse sa main se balader sous les jupettes toujours un peu trop courtes des jeunes filles (de toute façon elles doivent le chercher ces petites cochonnes), on se pousse, parfois violemment... pour sortir.
Car le train, surtout à l'heure de pointe, est une épreuve terrible, un enfer dont on veut s'extraire le plus vite possible, un abîme de honte et de douleur où la perversion du système, à moins que ce ne soit celle de l'être humain lui-même, "l'homo japonicus", nous a fait tomber le Masque.
C'est un autre Japon.
Moins cliché et aseptisé peut-être? Plus humain certainement.

Toujours est-il qu'on en sort exténué, vidé, énervé, dégoûté, scandalisé.
Sur le quai, on respire et on réajuste son Masque... avant de refaire la queue pour la correspondance...

3 comments:

Sandrine Deschamps said...

Juste parce que j'ai adoré vous lire et parce que peut-être vos autres fidéles lecteurs auront fait comme moi : attendre avec impatience le prochain billet !! C'est vrai que c'était long quand même mais tellement intéressant et drôle que je regrette pas !

Anonymous said...

Vous n'avez pas perdu tous vos lecteurs, votre site est dans mes favoris :D Prendre le train n'a pas l'air de tout repos...Je n'imaginais pas cela ainsi!! Effectivement les piliers de la culture nippone semblent alors s'écrouler...et c'est bien dommage.
Merci de nous faire partager votre quotidien :)
Au plaisir de vous lire prochainement.

Charles Héraut-Goureau said...

Disons qu'il y a des sans-gênes partout, le Japon n'est ni pire ni meilleur de ce point de vue, mais le décalage, voire la rupture, qui existe entre le Japon de la politesse exquise et du dévouement altruiste tel qu'il nous est présenté un peu partout et véhiculé par les japonais eux-mêmes est tout simplement béant voire choquant dans ce cas précis.
Merci de toujours me lire;)