Sunday, November 2, 2008

Le train (2) - Vous allez en enfer? Allez-y en JR.


Il est 19h19 à la gare de Tokyo. Ici, les trains ayant la fâcheuse tendance de partir à l'heure, je hâte le pas pour essayer d'attraper celui de 19h23 qui me conduira à Yokohama en 25 minutes. Sur le quai du terminus de la ligne Tokaido, petit train de banlieue qui traverse tranquillement trois départements, une foule compacte de gens se masse des deux côtés du quai. A gauche, mon train déjà bien rempli, est prêt à partir. Devant les portes béantes, des gens attendent patiemment en deux lignes parallèles celui de 19h43. A droite, le train de 19h33 stationne portes fermées. Devant, dodelinent nonchalamment de la tête d'autres voyageurs éreintés par leur journée de travail. A l'intérieur quelques employés au regard vide et aux gestes fatigués font le ménage d'usage. Ici des cadavres de canettes de bière déposées délicatement sous le siège avec un restant de paquet de chips goût jambon-ananas, là un magazine posé sur l'étagère au dessus des sièges, ici encore un parapluie orphelin et là enfin quelques détritus délicatement enfoncés entre le siège et le dossier. Une voix de robot nasillarde annonce que le ménage est à présent terminé et que les portes vont s'ouvrir immédiatement. Les visages se crispent, les espaces rétrécissent. L'air véritablement affolé, chacun se prépare à se ruer sur les places assises car ici pas de pitié: premier arrivé, premier servi, quite à jouer du coude pour faire place nette d'autant plus que certains mettront plus de deux heures pour rentrer chez eux.
Je me dirige sur le quai opposé. Une sonnerie retentit et indique que mon train va partir dans quelques secondes. Saisissant mon courage à deux mains, je m'y engouffre en apnée. Nous partons.

Prochaine station Shinbashi, celle qui va prouver par A plus B que l'être humain et surtout le Japonais est compressible à l'infini, voire au-delà. Quelques personnes arrivent tant bien que mal à se frayer un passage à coup de "すみません excusez-moi" ou de "降ります j'aimerais sortir", puis c'est le chaos. A défaut de places assises, les meilleures sont celles qui se trouvent directement en face de ces dernières: surtout ne pas être au milieu de la rangée.
Le train repart, je m'accroche désespérément à la poignée en plastique au niveau de ma tête tout en embrassant amoureusement le poteau métallique graisseux où folâtrent toutes les maladies de l'archipel réunies. En face de moi, un salary man dort profondément la tête en arrière courbée de façon non naturelle à plus de 90 degrés, bouche ouverte. Défiant toutes les règles de la diginité humaine, il ronfle et bave: il est chez lui. Dans sa main, un paquet de cacahuètes éventré et sur ses genoux, un journal grand ouvert à la page inévitable où une jeune japonaise exhibe et malaxe son énorme poitrine l'air lubrique. Il semble heureux. Il a deux taches de graisse au côté droit.
Près de lui, une femme joue les métronomes humains et se balance de gauche à droite, heurtant délicatement les épaules de ses voisins avant de se replacer et recommencer son infernal mouvement. N'ayant pas la place de fouiller dans mon sac pour en ressortir un éventuel objet de divertissement, je lis et relis les éternelles publicités que je connais par coeur. Des pubs pour le mariage, pour la constipation et la gueule de bois, pour apprendre l'anglais et ainsi vaincre toutes les barrières culturelles et langagières de tous les pays du monde en parlant une seule langue; je pouffe intérieurement. C'est bientôt Halloween: Mickey et ses sbires me fixent en souriant comme des damnés.
Au dehors il fait nuit noire et par la vitre je peux voir les néons et les lumières de Tokyo défiler en d'innombrables trainées scintillantes et multicolores.

Nous arrivons à Shinagawa: nouvelles scènes d'exode massif et de souffrance. La plupart des gens ne sont pas encore descendus que ça rentre en poussant et en maugréant comme s'il s'agissait du dernier train. Certains avec leurs bagages ont tout simplement choisi le mauvais moment pour prendre les transports en commun, mais qu'importe: tout le monde rentrera quand même. Ceux pris en tenaille au milieu de la rangée sont écrasés, fauchés, mutilés sans pitié; ils ne peuvent ni ne veulent se plaindre car au Japon sa détresse personnelle ne doit pas faire obstacle à la bonne marche du système. Plus que leur triste sort, leur visage absolument impassible et résigné me fait froid dans le dos.
Petite mélodie. Les portes se referment et le convoi redémarre. Devant moi, le salaryman ronfleur et la métronome folle se portent bien.

Vient Kawasaki, puis Yokohama. Je récupère mon sac et je me prépare à descendre tranquillement mais me voilà pris dans le mouvement de foule et je manque de tomber. Redressé, je me retrouve à présent compressé et tente de me créer un espace vital à coups de coude, en vain. J'ai envie de hurler, de sortir un sabre et de trancher, de découper cette absurde assemblée suintante de folie. Je n'ai jamais compris pourquoi il fallait à tout prix pousser comme un con pour sortir; pourquoi il fallait avoir ce regard terrifié d'enfant abandonné en descendant du train; pourquoi toutes les règles du savoir-vivre et de la politesse devaient être sacrifiées en cet instant précis d'absolue animalité...

Je laisse passer cette foule dégénérée et reprend mon calme et mes esprits sur le quai. Vu d'ici le train me semble une bouche infernale vomissant ses passagers qui dégoulinent dans les escaliers.
Tous ont le regard dément de l'abnégation.

En empruntant à mon tour l'escalier vers les portillons automatiques que je sais congestionnés, je n'ai qu'une seule et unique pensée: déménager, vite.

Le train (1)

Cela fait bien longtemps que je n'ai pas écrit de billets sur ce blog et je dois avoir perdu mes rares lecteurs mais qu'importe, me revoici avec deux textes sur cette abomination que sont les transports en commun. Le premier texte est vieux de quelques mois mais j'ai pensé que sa place était sur ce blog donc je le soumets ici, et le second est inédit. Tous les deux reflètent bien ce qu'est le train au Japon: une zone de non-culture où tous les piliers traditionnels de la mentalité japonaise s'écroulent un à un comme de vulgaires châteaux de cartes. Un endroit où l'homo japonicus se révèle être un être humain comme les autres, où l'imperméabilité de sa légendaire contenance se fissure et se délite au-delà du dicible. Bien qu'ayant vécu à Paris et ayant subi les affres du RER et du métro, je n'ai jamais ressenti un contraste aussi fort au sein même de la société. Ici, c'en est vertigineux...

Sur le quai, les gens sont alignés tels des sardines dans leur boîte, en de longues files bien droites et sages, face aux écussons aposés sur le sol qui désignent le lieu exact où les portes du train se trouveront et s'ouvriront une fois ce dernier à l'arrêt.

Nous sommes au Japon, et au Japon on aime l'ordre.

Une douzaine d'annonces plus tard, le convoi arrive enfin. Désespérément à l'heure. S'opère alors une métamorphose tout à fait singulière: les files d'attente, pourtant si disciplinées la seconde précédente, se désagrègent, se délitent, se dissolvent. Les gens se massent des deux côtés des portes afin de laisser sortir les voyageurs. Puis c'est un chaos de salary-man, de lycéennes en jupette et socquettes bleues, de mamies blindées en titane qui jouent du coude, de sosies plus ou moins réussis de Tina Turner et Rod Stewart, voire du Roi Lion, qui se rue et s'engouffre dans les entrailles du "densha". Objectif: trouver une place assise à tout prix et pour ça tous les coups sont permis du moment qu'on arrive à s'asseoir. Penser d'abord à soi. Et tant pis pour les vieux. Tout ce petit monde vient de basculer sans le savoir dans un autre monde; une sorte de zone de non-culture où les piliers traditionnels de la culture japonaise pourtant apparemment inébranlables d'habitude, s'écroulent comme des châteaux de cartes.
Ceux qui n'ont jamais vécu une heure de pointe sur des grands axes ferroviaires à Tokyo n'ont pas vraiment vécu.

Nous sommes au Japon, et au Japon on est respectueux.
Nous sommes au Japon, et au Japon on est silencieux.
Nous sommes au Japon, et au Japon on est propre.

Mais dans le train, on est un peu comme à la maison: on se maquille, vulgairement s'il vous plaît; on mange et on laisse ses détritus sous le siège, l'air de rien (de toute façon y a des gens payés pour faire le ménage, ça leur donne du boulot); on écoute sa musique, fort s'il vous plaît (de toute façon personne ne dira rien); on s'affale par terre...

Nous sommes au Japon, et au Japon, qu'elle soit affective ou physique, on aime et on respecte la distance (sauf peut-être quand on est ivre). Dans le train, exiguïté et forte densité oblige, la sacro-sainte distance devient par la force des choses une notion plutôt vague, et on se retrouve compressés, écrasés, obligés d'avoir à se frotter aux autres: dans le meilleur des cas à une jolie O.L (office lady), dans le pire à un salary-man graisseux sentant le tabac et l'urine ou plus insupportable encore, un étranger. On prend son voisin pour un oreiller, on laisse sa main se balader sous les jupettes toujours un peu trop courtes des jeunes filles (de toute façon elles doivent le chercher ces petites cochonnes), on se pousse, parfois violemment... pour sortir.
Car le train, surtout à l'heure de pointe, est une épreuve terrible, un enfer dont on veut s'extraire le plus vite possible, un abîme de honte et de douleur où la perversion du système, à moins que ce ne soit celle de l'être humain lui-même, "l'homo japonicus", nous a fait tomber le Masque.
C'est un autre Japon.
Moins cliché et aseptisé peut-être? Plus humain certainement.

Toujours est-il qu'on en sort exténué, vidé, énervé, dégoûté, scandalisé.
Sur le quai, on respire et on réajuste son Masque... avant de refaire la queue pour la correspondance...

Tuesday, July 29, 2008

Sécurité et tranquillité 安全と安心

On dit souvent que le Japon est un pays particulièrement sécuritaire et qu'il peut se targuer d'avoir un des taux de criminalité les plus bas parmi les grands pays industriels, car même s'il est vrai que les crimes de sang sont particulièrement sordides et fréquents (boucheries dans des écoles primaires, massacres absurdes comme celui de Akihabara en juin dernier ou drames familiaux divers), force est de constater que la "petite" criminalité (agressions, insultes, vols à la tire) elle, est plutôt rare ou isolée. En fait la plupart des agressions semble surtout concerner les femmes ou les jeunes filles; car qu'ils aient les mains baladeuses (痴漢 ちかん), qu'ils suivent leurs victimes (ストーカー) ou qu'ils exhibent leurs bijoux de famille (露出狂 ろしゅつきょう), les pervers sexuels sont légions au Japon. Fort heureusement les messages d'avertissement, principalement dans les trains, se sont développés depuis quelques années, mettant ainsi fin au silence "imposé" aux victimes de ce genre d'abus. ちかん あかん!comme dit la pub à Osaka. (non aux mains baladeuses!).
Une autre cible privilégiée au Japon: les personnes âgées. Ces dernières sont principalement la cible d'arnaques qui visent à leur soutirer de l'argent comme ces fameux escrocs culottés qui se faisaient passer au téléphone pour un petit fils dans le besoin (おれおれ詐欺 さぎ). La mémoire défaillante de certaines victimes leur faisait parfois faire des virements de sommes considérables.

Mais que fait la police?

La police est ton amie
Bien que discrète, la présence policière est omniprésente dans les villes à en juger par le nombre très élevé de "Kouban(交番)", ces petits postes de police de proximité installés près de toutes les gares et approximativement tous les 100-150 mètres. Ils abritent des agents de quartier (おまわりさん)qui sont là pour gérer d'éventuels différends de voisinage ou les infractions les plus communes (vélos mal garés, déclaration de vol etc.) et veillent au grain pour le plus grand bien de leurs concitoyens. C'est également LE point de rendez-vous inévitable et une sorte de lieu où l'on peut se renseigner sur le chemin à prendre si on est perdu. En bref c'est une véritable institution qui fait partie du décor urbain et qui promet "Sécurité et tranquillité pour le quartier".
C'était d'ailleurs là le thème principal d'une manifestation festive qui s'est tenue à Yokohama le 29 juillet dernier: 安全安心の街づくり "construire un quartier sûr et tranquille".
Cette manifestation avait pour but de présenter le rôle de la police dans la vie japonaise à grand renfort d'uniformes, de technologie et de fanfare. L'ambiance était bon-enfant: une légion de femmes étaient présentes avec landaus et marmots, lesquels gambadaient joyeusement entre les voitures en exposition et les différents stands équipés de télévisions et d'ordinateurs vantant les mérites de l'équipement logistique de la police.
Quelques cadeaux leur étaient également distribués, et les plus petits pouvaient colorier des dessins en noir et blanc montrant des policiers tout sourire arrêtant des malfrats ou avertissant de la nécessité de faire attention à qui se trouvait près de soi dans la rue. Certains dessins mettaient en scène de pauvres citoyens poursuivis la nuit par des êtres sans nom et malveillants. Les plus beaux coloriages étaient affichés sur le mur. J'ai même cru discerner un Mickey mais je n'ai pas su dire s'il faisait partie des bandits ou non.

Dans ce pays où l'habit fait le moine, les gens ne pouvaient que se réjouir: la police est là pour construire un meilleur quartier et un meilleur Japon. Uniforme, mascotte et cadeaux: tous les ingrédients étaient réunis pour rendre les Japonais heureux . Et en particulier les enfants qui sont souvent une cible de choix pour approcher les parents.
Je suis resté interdit devant ce curieux spectacle indéniablement joyeux à en juger par la myriade d'enfants survoltés et rieurs, spectacle auquel on ne nous a jamais vraiment habitué en France. Là-bas dans mon souvenir, les policiers ne sourient pas et ils ne font pas de cadeaux...

La ville te regarde
Mais plus que l'affaire de la police, la sécurité au Japon c'est d'abord une affaire de vigilance civile et collective comme le montre ces posters que l'on peut trouver dans tous les quartiers:


Le contenu est on ne peut plus explicite: "Dans ce quartier on observe et on signale (sous-entendu les individus louches)". Chacun, de la grand-mère au commerçant et en passant par le chat, lutte contre le Crime "犯罪 はんざい" devenant ainsi l'artisan de sa propre sécurité. Au Japon on ne dénonce pas, on informe. Il faut dire que les pervers sexuels entre autres font de tels ravages dans ce pays, que les professeurs de la majorité des écoles (collèges et lycées) surveillent à tour de rôle les alentours de leur établissement lorsque les élèves sont autorisés à sortir, c'est à dire le matin et après les cours.

Ici aussi le message est on ne peut plus clair: "Cambriolage, voleurs: pas de pitié!". Les yeux "kabuki", que l'on peut voir sur de nombreux véhicules (police, camions de livraison etc.) sont là pour vous rappeler que le crime ne passera pas inaperçu. Et sous les habitants modèles qui ne sont pas là pour rigoler non plus quand on s'attaque à leurs biens (et je les comprends) on peut lire: "Tout le monde surveille dans le quartier de Yotsuya!"
Remarquez d'ailleurs l'homme à l'extrême droite, celui en vert avec sa lampe de poche et son chapeau où il est inscrit 防犯 ぼうはん "Anti criminalité". N'en avez-vous jamais croisé de semblables? Souvent rassemblés en troupeaux de septuagénaires aux vêtements fluos qui patrouillent énergiquement à grand renfort de casquettes et pancartes où il est écrit 防犯パトロール: "patrouille anti criminalité" (comprenez milice civile). Car même dans les grandes villes, et bien plus qu'en France, la vie de quartier est extrêmement forte et développée à tel point que ce genre de patrouille est omniprésente et fait office de relais de la police.
Nul besoin de caméras. Et puis il faut bien occuper le troisième âge.
Beaucoup de vélos en outre, en particulier ceux des mamans qui emmènent leurs enfants à l'école, possèdent également un écusson indiquant:パトロール中 ちゅう "en patrouille".


Maintenant que les rues sont à peu près sûres, il serait temps de s'occuper des malaises bien plus profonds de la société, car en attendant, personne ne prête attention à ce jeune collégien taciturne sur le trottoir d'en face, au regard vide, qui a décidé de découper ses parents à coup de couteau de cuisine et de mettre le feu à son appartementen rentrant chez lui...


Petit lexique de la criminalité:
空き巣(あきす akisu): cambriolage, cambrioleur.
おれおれ詐欺(おれおれさぎ oréoré sagi): il s'agit d'une arnaque de la part de gens qui se faisaient passer pour le petit fils d'une personne âgée en leur disant " C'est moi, c'est moi, tu ne te souviens plus?", dans le but de leur soutirer de l'argent.
食い逃げ(くいにげ kuinigé): littéralement "bouffer et fuir", en gros partir d'un restaurant sans payer.
詐欺(師)(さぎし sagishi): escroquerie (escroc).
殺人(さつじん satsujin): meurtre.
ストーカー: de l'anglais "stalker" se dit d'une personne qui en harcèle une autre en l'épiant et en la suivant, dans le but d'obtenir ses faveurs.
すり suri: vol à la tire.
セクハラ sekuhara: de l'anglais "Sexual harassment", c'est à dire harcèlement sexuel.
痴漢(ちかん chikan): se dit d'un homme qui se livre à des attouchements sur les femmes et les jeunes filles. Ce genre d'individus se trouve principalement dans les endroits fortement bondés comme les gares et les trains. L'équivalent féminin est 痴女(ちじょ chijo). Si vous veniez à vous faire accuser de ce genre de pratiques par une femme, même a tort, vous n'auriez que très peu de chances de vous défendre, les autorités donnant quasiment systématiquement raison aux femmes. Il existe d'ailleurs des sites expliquant les postures à prendre pour ne jamais être pris au dépourvu.
通り魔(とおりま toorima): se dit d'une personne qui attaque les passants.
泥棒(どろぼう dorobô): voleur.
犯罪(はんざい hanzai): crime. Dans la même famille il y a 有罪 (ゆうざい yûzaï)"coupable", et 無罪(むざい muzaï)"innocent". Si vous veniez à être arrêté(e) alors que vous n'avez rien fait, répétez "私は無罪です わたしはむざいです watashiha muzai desu)"Je suis innocent(e)" et ne signez absolument aucun document que vous ne puissiez comprendre.
ひったくり: vol à l'arrachée.
不良(ふりょう furyô):
délinquant (signifie aussi défectueux pour les objets).
暴走族(ぼうそうぞく bosôzoku): motards très souvent mineurs organisés en bandes et dont les objectifs dans la vie sont de faire du bruit sur leurs bécanes trafiquées, boire de l'alcool et glander toute la journée. Bienqu'ils tendent à disparaître, ils étaient particulièrement nombreux dans les années 80/90.
万引き(まんびき manbiki): vol à l'étalage.
露出狂(ろしゅつきょう roshutsukyô): exhibitionniste.

Thursday, July 10, 2008

Les mauvaises manières 行儀が悪い!

En tant que français (francophones/francophiles /européen), le Japon est le pays des incivilités les plus grossières et il est difficile de ne pas réprimer des grognements d'exaspération à chaque fois que le mur de nos valeurs sociales est ébranlé. Autres pays, autres moeurs évidemment, mais je me demande souvent comment faire le distinguo entre différence culturelle et comportementale, et manque flagrant de bon sens et de politesse? (Bien que ces deux dernières notions soient également liées à la culture et à l'éducation).

En tout cas, petit florilège (loin d'être exhaustif) de ce qui m'énerve ici pour votre plus grand plaisir:

* Vous êtes dans le train. Soudain un bruit tonitruant, un enfer de décibels déchire le calme ambiant. Un attentat? Non, un salary-man vient d'éternuer et en a fait profité tout le wagon, et comme un éternuement ne vient jamais seul, on a le droit à un deuxième opus tout aussi sonore, ainsi qu'à une deuxième salve de postillons balancés dans l'atmosphère car évidemment mettre sa main devant sa bouche ça serait vulgaire.
Explication des Japonais: "On pense aussi que cela dérange mais nous ne faisons pas la remarque, ou très rarement."

*Encore dans le train, sorte de salon ou chacun se met à son aise, votre voisin en face commence à somnoler et à plusieurs reprises, en baillant, il vous montre son dernier plombage (dans le meilleur des cas). Dans un pays où le dentiste se rapproche plus du vétérinaire, la situation n'est pas toujours des plus savoureuses. Encore une fois mettre sa main devant sa bouche ça ne se fait pas.
Explication des Japonais: "C'est comme ça, on n'y peut rien".

*Les Japonais aiment beaucoup critiquer les Chinois et les blâmer de cracher partout dans la rue, pourtant eux-mêmes ne sont pas en reste et cracher dans une gare, un hall d'immeuble ou même dans un wagon ne semble pas les déranger le moins du monde. Apparemment cette activité est l'apanage encore une fois des salary-man, des jeunes rebelles et des traumatisés du coiffeur. Attention où vous marchez.
Explication des Japonais: "Non, on ne fait jamais ça! Ce sont les chinois, vous vous trompez!"

*Tout en sachant pertinemment qu'il y a quelqu'un derrière, sans vergogne aucune, la personne devant vous ne vous garde pas la porte ouverte et vous vous la prenez en pleine poire.
Explication des japonais: "Au Japon les portes coulissent, on n'est pas habitué".
Oui mais bon...

*Au restaurant, la plupart des clients avalent leurs nouilles et sirotent leur tasse de thé dans un bruit de succion qui rendrait fou les adeptes du mythe lovecraftien.
Explication des japonais: "Les pâtes et le thé sont très chauds donc aspirer de l'air en même temps permet de les refroidir".
Il faudra m'expliquer alors pourquoi c'est la même chose en été avec des nouilles froides et de l'eau...

*En hiver tout le monde renifle à s'en décoller la cloison nasale. Concerto pour cuivres morveux.
Explication des Japonais: "Ca ne se fait pas de se moucher en public".
Certes.

*Votre voisin dans le métro a un grain de riz délicatement posé sur la joue mais personne ne lui dit rien.
Explication des Japonais: "Faire une telle remarque est très délicat, on ne voudrait pas le rendre mal à l'aise".
Je comprends bien, il vaut mieux qu'il soit ridicule toute la journée sans le savoir.

*Au supermarché, vous achetez un bête paquet de gâteaux et en vous rendant tranquillement à la caisse, priorité gérontophile oblige, vous vous faites doubler de justesse par une vieille peau qui s'est mise à courir pour vous passer devant. Le problème c'est qu'elle a un caddie rempli à rabord.
Explication des Japonais: "Premier arrivé, premier servi".

*Un pauvre bougre est affalé par terre dans la rue ou le métro mais personne ne va lui porter assistance, pire, chacun l'enjambe et tout le monde détourne les yeux.
Explication des Japonais: "On respecte la diginité des autres en les ignorant".
Heureusement la police et les lycéennes sont là...

Ca me rassure un peu, ma tatamisation n'est pas encore complète.

Saturday, June 14, 2008

18禁ou20未満?

Comme vous le savez certainement, au Japon la majorité y est fixée à 20 ans. Et tant que cette majorité n'est pas atteinte, il n'est pas possible aux mineurs de boire de l'alcool, de fumer, de parier ou encore de voter. Il leur est de facto interdit de fréquenter tous les lieux liés à ces activités: bars, discothèques, pachinko...

Pourtant il m'a toujours semblé curieux sans que je n' y prête vraiment attention, de voir ce genre de sigles:
Or on les rencontre le plus souvent, voire exclusivement, dans le milieu de la pornographie ou de l'érotisme, la deuxième photo ayant d'ailleurs été prise dans un magasin spécialisé dans les doujinshi (voir mon article précédent).
Je me suis alors renseigné auprès d'un vendeur dans un de ces magasins et celui-ci m'a précisé que le milieu de la pornographie est bel et bien autorisé aux 18 ans et plus. En clair la majorité est fixée à 20 ans, sauf pour la pornographie. Vous me direz, en France il y a bien plusieurs interdictions par tranches d'âge en fonction du support concerné. Oui, mais au Japon le milieu du sexe ne semble pas souffrir d'interdictions graduées comme pour la violence par exemple (jeux vidéos, films...), et la révélation ne serait-ce que d'un sein féminin dans son intégralité implique l'interdiction pure et simple aux moins de 18 ans.

Le Japon se paie donc le luxe d'avoir deux majorités comme vient le confirmer le poster de la Japanese Franchise Association avec l'éléphant SS que vous pouvez trouver dans votre conbini préféré:
Pour ceux qui lisent le japonais, les détails sont expliqués ici (dans la partie "About SS activity" dans les onglets de gauche). Pour les autres, le poster prétend "viser les magasins qui veulent apporter leur contribution à la sécurité et au bien-être de leur quartier". Pour cela, notre gentil éléphant, qui a d'ailleurs été choisi pour sa force (message fort) et ses grandes oreilles (et donc à l'écoute des gens), rappelle en cinq icônes certaines règles sociales censées améliorer la vie de ses concitoyens:
*Faire le 110 pour la police lors de vols ou de violences;
*Faire le 119 dans le cas de désastres naturels ou non;
*Rappelle que la réunion d'individus squatteurs est interdite aux abords des conbinis et que les gérants du magasin peuvent intervenir pour disperser le groupe en question.
Et pour ce qui nous intéresse:
*Rappelle que les magazines pour adultes sont interdits aux moins de 18 ans;
*Rappelle que l'alcool et les cigarettes sont interdits aux moins de 20 ans.

Mais l'estimation légale de la "maturité" des jeunes Japonais va encore se compliquer, car à en croire ce blog, le gouvernement japonais a proposé en mai 2007 une rectification de la loi afin d'abaisser la majorité à 18 ans pour le droit de vote et inciter par là-même les jeunes à s'intéresser davantage à la vie politique.
Autant dire que ça va commencer à devenir un sacré casse-tête. Mais en laissant cette double majorité, il s'avère en tout cas qu'il y a une véritable volonté de freiner la consommation de tabac et d'alcool chez les adolescents, et le lancement de la carte Taspo, une carte délivrée aux plus de 20 ans qui sera obligatoire à partir du 1er juillet 2008 pour se procurer des cigarettes dans les distributeurs automatiques, ne fait que renforcer ce sentiment.
Mais pour prévenir la consommation de cigarettes chez les plus jeunes, ne serait-il peut-être pas judicieux de commencer par suprimer la publicité à outrance?

Ne serait-il pas non plus bon de commencer à s'attaquer à d'autres problèmes plus sérieux comme le contenu même du milieu pornographique?
Car en attendant, les magasins ロリコン "pédophiles" où l'on peut librement se procurer des vidéos et autres goodies de petites filles de moins de 12 ans posant comme des stars en maillot de bain ou en petite tenue, ou encore les mangas amateurs pour adultes mettant en scène des écoliers et écolières et vendus au grand jour, se portent bien...

En bref, on voit où sont les priorités du gouvernement.

Ps: voici un article tout à fait intéressant sur la majorité/âge adulte au Japon.

Thursday, June 5, 2008

Les Doujinshi 同人誌

J'imagine qu'il existe déjà une pléthore de sites, de blogs et d'articles sur le net concernant la sphère des mangas et je ne compte pas paraphraser ce que d'autres ont certainement bien dit, mais je voudrais tout de même présenter une branche de l'industrie de la bande-dessinée japonaise assez mal connue, c'est à dire le milieu amateur que l'on regroupe sous le terme "doujin" et qui me semble particulièrement (et surtout) intéressant sur le plan culturel et social.

Doujin(同人) signifie "membres d'un même cercle" et shi(誌)est l'abbréviation pour magazine, ou support papier, sachant qu'il existe des cercles amateurs dans de nombreux domaines (illustrations, animés, jeux vidéos, littérature...). Le principe est simple, le plus souvent des amateurs décident de s'associer et de créer une sorte de studio comme dans les milieux professionnels, mais à la différence majeure qu'ils s'autoproduisent: création, promotion et vente. Ces cercles (サークル)sont légions et prolifèrent au Japon depuis une vingtaine d'années certainement grâce au fait qu'ils n'ont quasiment pas de contraintes si ce n'est celle de vendre pour financer leurs prochains travaux. Lorsqu'un cercle commence à se faire connaître, sous un nom commun en général, ses activités peuvent devenir très rentables du fait que ses marges sont bien supérieures à celle d'un parcours éditorial classique.
Certains professionnels reconnus comme les fameuses CLAMP ont également commencé leur carrière comme doujin, et d'autres continuent d'éditer certains de leurs travaux de cette façon, certainement attirés par l'absence de contraintes et de pressions éditoriales ce qui peut donner naissance à de véritables chefs-d'oeuvre graphiques et scénaristiques. D'ailleurs, de plus en plus de mangaka professionnels dont la réputation n'est plus à faire, privilégient même ce moyen de production pour la liberté qu'il procure.

Le contenu
Je n'irai pas par quatre chemins, les doujinshi, du fait peut-être de la quasi liberté qu'ils permettent au niveau créatif, sont à 70% pornographiques et ce n'est pas peu dire au vu de l'imagination débordante de leurs auteurs. Il existe des doujinshi pour hommes et pour femmes, lesquels sont en général séparés. Si les doujinshi destinés aux hommes sont le support ultime pour l'expression des fantasmes japonais masculins les plus extrêmes et les plus enfouis, ceux destinés aux femmes ne sont pas en reste et proposent une grand partie d'oeuvres également pornographiques, parallèlement aux traditionnels mangas à l'eau de rose.
L'éventail thématique des oeuvres est extrêmement large et n'a pour limite que votre imagination; professeurs dévouées pendant et après la classe, lycéennes pudiques mais insatiables, infirmières curieuses, secrétaires (très) zélées, servantes plus que soumises, gothiques déjantées etc. Toutes passent à la moulinette des fantasmes de leur auteur et de la demande. La plupart des oeuvres se basant sur un rapport dominant(s)/dominée(s) allant jusqu'aux humiliations les plus basses. En d'autres termes toutes les perversions sexuelles sont représentées, des plus softs aux plus nauséeuses. On retrouve d'ailleurs des récurrences visuelles: poitrines monstrueuses, suintantes de lait et de sueur, à la limite du risible quel que soit l'âge, souvent douteux, des protagonistes; lesquelles sont souvent recouvertes de la tête aux pieds de certains liquides dont il n'est point besoin de vous faire de dessin (pas moi en tout cas); parodies de mangas ou d'animés montrant la vie sexuelle de héros connus; assaillants poulpoïdes dans la plus pure tradition du "shokushu"(触手, tentacules), ce style qui met en scène des monstruosités dotées de nombreux tentacules, inspirées par le fameux tableau de Hokusai, Le rêve de la femme du pêcheur (蛸と海女) etc.

Notez également que de nombreuses oeuvres ne sont pas ou très légèrement censurées, et qu'on y voit même des poils pubiens, ultime tabou pourtant dans le milieu du sexe.
Les oeuvres pornographiques destinées aux femmes quant à elles, montrent le plus souvent des couples d'hommes homosexuels à l'allure toujours extrêmement longiligne et au visage allongé, ou plus curieux, des (petits) garçons dont les mensurations feraient pâlir de honte Rocco Siffredi et dont le membre semble être sujet, au vu des couvertures, à diverses utilisations inattendues.

Personnellement, ce sont les derniers 30% d'oeuvres, à savoir les doujinshi non-pornographiques, qui m'intéressent (et si!). Il n'est pas rare de tomber sur des perles à condition de savoir où et quoi chercher car la saturation visuelle est quasi immédiate lorsque vous fouillez dans ces montagnes de mangas aux couleurs criardes et aux heroïnes toujours humiliées et dégoulinantes de lubricité. Heureusement il existe parfois des espaces séparés pour les doujinshi non pornographiques, ce qui facilite les recherches et calme la nausée.

La population qui fréquente ces endroits est étonnamment très variée et même si on y trouve évidemment l'otaku de base bedonnant et graisseux reconnaissable à sa mine de basset lubrique et à son éternel sac à dos dont je ne veux rien savoir du contenu, on y rencontre également quasiment toutes les strates sociales de 18 à 60 ans: des salary-man, des étudiants honteux ou décontractés, le quidam de base, des couples, des étrangers un peu perdus et rougissant à la vue de chaque couverture etc. Il faut dire que ce genre d'endroit n'est absolument pas glauque: étages entiers suréclairés, posters sur les murs ou tombant du plafond représentant sans honte les denières nouveautés, oeuvres bien présentées et mises en valeur. Sans compter la publicité (soft) à l'extérieur du bâtiment.
Si l'on dit les Japonais timides pour ce qui concerne le milieu du sexe, ce n'est apparemment pas le cas lorsqu'il s'agit de mangas et les magasins sont souvent très fréquentés. Evidemment et plus qu'ailleurs, n'escomptez pas croiser le regard de qui que ce soit ou même de faire la conversation avec votre voisin: chacun est là pour faire ses courses dans un silence quasi monacal, tandis que hurle dans les hauts parleurs la dernière chanson de l'idole à la mode.

Les moyens de diffusion
Même si internet est l'atout majeur pour diffuser son travail, LE rendez-vous des fans de doujinshi est le fameux Comic market ou comike(コミケ)qui a lieu deux fois par an: en été à la mi-août, "natsucomi"(夏コミ) et en hiver, à la fin décembre, "fuyucomi"(冬コミ). C'est certainement le plus grand évènement lié d'une part aux mangas et à l'animé au niveau mondial, mais aussi et dans une moindre mesure, aux jeux-vidéos (amateurs), au cos-play etc. Bref au monde des otakus tels que la majeure partie des gens l'entend. Notez qu'à l'origine il s'agissait d'un rendez-vous purement amateur et que même si maintenant c'est toujours plus ou moins le cas, on trouve de nombreux stands tenus par des exposants professionnels.
Cet été, le 15 août va se dérouler le 74e comike ou C74 et c'est à chaque fois un rendez-vous à ne pas louper car la plupart des oeuvres ne sont pas rééditées et peuvent devenir très chères avec le temps. Le Comike devenant de plus en plus populaire, les organisateurs sont souvent même obligés de refuser des candidatures faute de place, presqu'autant que de candidatures acceptées.
D'après le site officiel, cette année sont attendus pas moins de 35 000 cercles (!!), et fait intéressant à chaque convention, les doujinshi pour adultes sont loin d'être majoritaires.

Pour ceux qui n'auraient pas eu la chance ou le courage de se rendre au TokyoBig Sight, lieu de la convention, et de parcourir les dédales de stands archi-bondés* pour se procurer leur oeuvre préférée, il existe également des rayons spécialisés dans la plupart des grands magasins liés aux manga et à l'animation (Mandarake, K-books...) voire même des magasins entiers comme Toranoana(とらのあな)à Akihabara où les doujinshi s'étalent sur plusieurs étages. On y trouve en général les stocks des invendus du Comike, ainsi que de l'occasion, les particuliers pouvant y revendre leur collection. Les mangas sont presque toujours sous plastique et en bon état (comme toujours au Japon). On y trouve également tout un ensemble de produits dérivés "doujin item"(同人アイテム): des réveils, des coussins (géants), des éventails, des serviettes, des sacs etc. Tous à l'effigie de son idôle préférée.

Le seul problème est qu'il faut posséder au moins quatre cerveaux et six bras pour se retrouver dans cette jungle de papier glacé qui défie les lois de la logique du classement, et si vous ne lisez pas le japonais l'entreprise est quasiment impossible. Heureusement les vendeurs connaissent les étagères sur le bout des doigts et vous trouveront vos précieux mangas lesquels se présentent, et c'est assez original, dans la plupart des cas en fasicules A4 à la façon des comics américains, et ne sont pas beaucoup plus épais.

*Il est d'ailleurs recommandé de se procurer le catalogue de la convention décrivant la position de chaque stand, sans quoi la navigation y est presque impossible.

Conclusion
Le monde du manga amateur au Japon est tout aussi populaire que celui de l'édition professionnelle à en juger par le succès que rencontre chaque année sa convention, le comike. Convention durant laquelle les plus aventuriers d'entre vous pourront mettre la main sur de véritables petits chefs-d'oeuvre, émancipés des contraintes artistiques du parcours éditorial classique. Ce milieu, d'ailleurs, n'a d'amateur que le nom car une très grande majorité des oeuvres reste d'une indéniable qualité.

Outre les créations grand public, le monde des doujin (mangas, animés etc.) offre également pour une grande partie un large éventail des fantasmes sexuels japonais dans tout ce qu'ils ont de démesurés et d'extrêmes. Fantasmes que l'industrie du film pornographique ne semble pas pouvoir offrir car certainement limitée par la censure, les moyens ou tout simplement par la fade consistance de la réalité. Pas ou peu de limites dans les doujinshi et la frontière de l'illégalité n'est pas toujours très claire (et mériterait de l'être) voire complètement douteuse, mais donner un âge à une heroïne de papier n'est pas forcément une chose aisée: le flou artistique et juridique étant malheureusement permanent.
C'est une sorte de grand défouloir populaire ou d'un côté la femme, ou plutôt la jeune fille, est au centre de tous les désirs: elle est assaillie, perforée, transpercée, humiliée par les phallus tentaculaires et sadiques de corps masculins le plus souvent acéphales et anonymes qui sont autant d'avatars auxquels le lecteur peut s'identifier.
D'un autre côté, celui des doujinshi pour femmes, l'homme est dépeint comme une sorte d'androgyne filiforme quasiment toujours homosexuel ou plus inquiétant (encore) comme un petit garçon aux mensurations absurdes. A chacun ses fantasmes?
S'agit-il là d'une frustration vengeresse d'une certaine catégorie de la population en mal de relations avec l'autre sexe? Ou bien d'une cartharsis malsaine, symptômatique d'un malaise social et comportemental bien plus profond transposé sur un support artistique?
Certainement un peu des deux, tout ca mélangé à un mal-être existentiel propre à la société japonaise et à une déconnexion de la réalité propre au monde otaku.

Toujours est-il que le milieu du manga amateur permet à la plupart des artistes de pouvoir vivre de leur travail et d'entretenir une relation directe et franche avec leur public, loin des contraintes éditoriales du milieu professionnel et de son rôle d'intermédiaire.
Et sortis du "18禁", interdit aux moins de 18 ans, les amateurs de mangas sauront trouver dans l'énorme production annuelle que cette activité génère, la pièce maîtresse de leur collection.

Saturday, May 31, 2008

Urbangarde アーバンギャルド

(Apparemment les vidéos sont désactivées sur les blogs au bout de quelque temps et comme j'en ai marre de les remettre à chaque fois, si ça arrivait encore, vous pouvez les visionner directement sur YouToube ou sur le site officiel du groupe en bas de l'article.)

D'abord une vidéo セーラー服を脱がないで "N'enlève pas ton uniforme" (à regarder en entier parce que ça part vraiment en sucette au bout de 50 secondes):


Cet ovni musical c'est le groupe Urbangarde, un quintet de Technopop qui commence à se faire connaître au Japon et dans le monde et qui sort un nouvel album 少女は二度死ぬ "les jeunes filles meurent deux fois" aux morceaux plus qu'évocateurs:
01. 水玉病
02. セーラー服を脱がないで (Album Mix)
03. 女の子戦争 (New Mix)
04. ファッションパンク 
05. オギノ博士の異常な愛情 
06. ヌーヴォーロマン
07. いちご殺人事件
08. 仮想敵
09. 少女の壊しかた 
10. コマーシャルソング 
11. 四月戦争
Traduction approximative des chansons: 1) la maladie des pois 2) N'enlève pas ton uniforme 3) Guerre de filles 4) Fashion Punk 5) Les sentiments particuliers du professeur Ogino 6) Nouveau Roman 7) L'affaire du meurtre à la fraise 8) L'ennemi supposé 9) Comment casser une jeune fille 10) Commercial Song 11) Guerre d'avril

Sur fond de techno pop/rock épileptique, le groupe mélange
habilement par l'intermédiaire de la chanteuse Yoko Hamasaki (yokotan) et sa voix de poupée pop, le côté Kawaii japonais à des thèmes plus sérieux comme les relations (sexuelles) entre élève et professeur; la virginité et le passage à l'âge adulte des jeunes filles (ominprésence de la couleur rouge et des règles) ou encore la folie (tous les clips partent en vrille). Il en ressort une sorte de violence à la fois visuelle et intellectuelle assez malsaine et en parfait décalage entre la voix de la chanteuse, les paroles d'ado en pleine floraison (encore le 満開) et les images en elles-mêmes qui se passent de commentaires, sans parler des titres des morceaux. Violence loin d'être inintéressante. Je dois même dire que je ne déteste même si je ne suis pas forcément fan de la musique pop japonaise en général.

Parmi leurs influences, outre sociales avec le rapport interdit prof/élève (3 chansons sont sur ce thème 2) 5) et 6)), on retrouve un certain visuel cher à Aida Makoto (会田誠), un artiste japonais dont je parlerai prochainement, au travers entre autres des icônes japonaises tels que le sabre, les uniformes ou encore le rouge/sang (regardez Kill Bill pour vous en convaincre).
Enfin Matsunaga, le leader du groupe, ne cache pas son intérêt pour la France des sixties de Gainsbourg et Gall, qu'on retrouve dans le côté à la fois kitsch et 下ねた "sous la ceinture" de certaines vidéos.

Encore une petite au passage (水玉病):

Pour conclure, ce petit groupe complètement décalé me plaît bien mais plus pour le côté visuel que musical à vrai dire. A suivre donc.

Le site officiel dans la même veine.

Sunday, May 18, 2008

Introduction: pourquoi ce blog?

J'en suis persuadé maintenant, le Japon n'est pas un pays à visiter mais à habiter, à vivre au jour le jour afin d'arriver à passer outre ce qu'il veut bien laisser paraître de sa véritable substance. C'est un miroir sans tain qui ne fait que refléter à la plupart de ceux qui s'y mirent leur propre image fantasmée, décuplée et glorifiée, image que l'on rencontrera dans les yeux des femmes, dans la bouche des gens lorsqu'ils nous félicitent pour nos trois mots de japonais ou encore dans la bienveillance et la politesse ambiantes de ce peuple au demeurant charmant. Pendant ce temps là, au pays de la liberté, les préjugés et les critiques ont la vie facile, et les commerçants toujours pas de monnaie et toujours aussi désagréables. Mais s'arrêter à cette image, certes attirante, c'est comme contempler un set de poupées russes sans ouvrir ne serait-ce que la première d'entre-elles; c'est s'arrêter au reflet que le Japon et les Japonais nous renvoient, déformé, de nous-même.
Le Japon, c'est le pays où tous les fantasmes sont possibles et offerts sur un plateau de nacre, fantasmes qu'il aura lui-même souvent créés de toutes pièces mais dont l'exotisme et la facilité auront facilement le dessus sur notre curiosité et notre raison. Le Japon, c'est un pays aux mille et un délices où chaque étranger peut plonger dans les abîmes de ses pulsions les plus refoulées et devenir Dieu, voire japonais. Mais pour un temps seulement car attention à la chute: au pays du soleil levant, tout est à l'image des fleurs de cerisiers qui à peine au maximum de leur floraison (満開), finissent déjà par tomber (散る) en même temps que l'intérêt extrême et décalé qu'elles ont suscité. Le Japon est un monde flottant sans cesse en mouvement, tremblant en fonction des soubresauts du "namazu" (鯰), le poisson-chat géant qui est censé le supporter sur son dos. Tout ne semble être que fugacité (はかない) et fatalité (仕方ない). J'ai l'intime conviction que c'est là tout ce qu'il faut comprendre sur ce pays sans quoi c'est la déception, et parfois même le rejet pur et simple.

Evidemment, il n'est pas facile de pouvoir appréhender une culture si différente de la nôtre et de parvenir à regarder à travers le miroir et le reflet si charmant de notre vanité et de nos passions. Les barrières socio-culturelles sont difficiles à franchir à commencer par celle de la langue, où il faut tout dire sans ne rien dire; où les mots sont des phrases; où le "oui" est un "non" et le "non un sourire; où "merci" se dit "désolé"; où lire et écrire est l'apprentissage de toute une vie...
Puis il y a la barrière du visage, impassible et trompeur. Pour nous autres occidentaux qui avons nos sentiments et nos intentions affichés clairement en lettres de feu sur notre figure, nous sommes d'une prévisibilité qui nous rend faibles et souvent incapables de comprendre, du moins dans un premier temps, les sentiments japonais autrement plus subtils. Comprendre le Japon et les Japonais demande énormément de temps et de persévérance (la réciproque est certainement vraie pour les Japonais à l'égard des Français mais dans une moindre mesure il me semble). Je suis moi-même passé, en 15 ans d'expérience du Japon et de ses habitants par tous les stades possibles et imaginables du comportement humain. L'intérêt s'est vite mué en passion, puis en fascination aveugle. La facination en doute et le doute en désillusion, puis en haine et en rancoeur. La rancoeur a finalement laissé sa place au cynisme et le cynisme à la maturité et au recul par rapport au Japon bien sûr, mais à moi-même aussi. Depuis que j'ai compris que je ne serai jamais plus qu'un "gaijin" (外人) lambda, le Japon est un pays très agréable à vivre où les étrangers bénéficient de la plupart des avantages de ce pays sans avoir à subir les inconvénients, souvent liés aux groupes d'individus (entreprises, école...) et au fait qu'on ne s'attendra pas à ce qu'ils réussissent à s'adapter à la culture et à la langue (à la différence de la France où l'intégration me semble être une des conditions sine qua non à l'acceptation nationale).
A force d'observation et d'humilité, j'ai commencé à saisir de nombreuses subtilités comportementales tels que l'humour où le cynisme à la japonaise, dont je n'avais jamais vraiment eu conscience auparavant. Je suis maintenant sans cesse à la recherche de ce Japon des déviances, des masques tombés et du miroir brisé. Ce pays, derrière son uniformité et sa rigidité apparentes, est d'une richesse et d'un chaos sans limites.

J'aimerais donc, avec cette introdution pédante, prétentieuse et clairement masculine, vous inviter à partager un Japon insolite, et inconnu de ceux qui n'ont pas eu la chance d'y habiter ou d'y vivre assez longtemps pour en comprendre tous les rouages. Un Japon d'ailleurs pas toujours glorieux ni plaisant. Evidemment, je ne prétends pas tout savoir sur le Japon et les Japonais. Je prétends juste que derrière l'image que ce pays veut bien donner de lui se cache un autre Japon bien plus subtil et passionnant et sur lequel j'ai envie d'échanger mes vues. Je suis persuadé qu'il faudrait plus d'une vie pour faire le tour de ce pays unique et versatile, malheureusement je n'ai pas autant de temps devant moi.